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Ma langue double
3 août 2016

Une cure de chaleur

Il y a tant de choses qui nous font du bien il faut croire aux anges aux petits miracles de la vie voir le soleil après la pluie…dit une chanson.

Je fais une cure de chaleur auprès de Mama, Hajiba et Farida. Ce sont des journées de haute gastronomie à l’ombre des Roses-bis. Les trois femmes chacune avec son humeur existent bel et bien couvées sous un soleil de plomb qui surplombe la demeure noyée dans les arbres verdoyant quoique asséchés d’un été caniculaire. Pourtant, la revenante de sa détresse, qui dure depuis de longs mois sans pouvoir s’estomper un seul instant, se sent plus ou moins bien, quoique toute ramollie par la chaleur qui règne avec des accents indolents qui proviennent du fond de ses entrailles mortifiées. Elle essaie de vivre l’instant présent avec ces trois femmes dont l’une est lassée de sa vieillesse qui avance à pas de loup, l’autre de mauvaise humeur comme d’habitude se languissant de son sort de malchanceuse qui a raté sa jeunesse , ses études et son mariage…et l’autre une immense fourmi aux ailes de reine besogneuse qui sort de son château de cartes pour aller butiner ailleurs car elle n’attend rien de ses sujets.  L’atmosphère est paisible et chaude. Il faut supporter la chaleur environnante sinon plus rien n’a de sens pendant ce genre de séjour à Fès avec la Mama qui passe des heures interminables ou bien assise somnolente ou bien allongée sur un côté ; ses jambes et ses pieds sont trop enflés. Elle dit kanzdém عla sebbat d’lحdid. (J’avance avec des sabots en fonte) Plus aucune sandale ne lui convient ; elle avance avec sa canne sur pieds nus pour aller au bout de chaque heure presque toute la matinée aux toilettes faire pipi. Makatعتteini raحa rebbi yeعfou ! Puis elle retourne rejoindre sa place habituelle pour somnoler ou assise ou endormie. Combien les heures doivent être lentes pour elle…Sinon quand elle ferme les yeux pendant quelques minutes, elle croit s’être endormie pour longtemps. Elle va vouloir s’enquérir aussitôt de ce qu’a accompli la femme de ménage pendant son long sommeil. Wili lui crie-t-elle quand celle-ci lui répond je viens juste de mettre le pain au four, tu ne fais que t’amuser tu ne fais rien !

Nous avons la chance de vivre encore ces heures ensemble, pense la jeune femme. C’est comme un jeu d’enfant qui dure trois mois de vacances. C’est une prière accomplie qui vient du temps de l’enfance où notre insouciance du temps qui passe ne fait qu’augmenter notre plaisir de continuer à jouer jusqu’au petit matin. Et nos prières auprès de nos parents pour le faire se multiplient avec beaucoup de confiance  en notre charme qui fait fondre les consignes et les ordres dans la bouche de tous ceux qui ont l’habitude de nous commander ou de nous interdire  de faire ce qu’on veut vraiment, comme jouer dehors avec les enfants du quartier jusqu’au bout de la nuit. Avec la moindre parole et le moindre sourire qui veut dire combien je t’aime maman, celle-ci reçoit les prières de ses enfants comme un baume de jouvence. La vie est si courte !

Mama confectionne dans sa presque impotence et son indolence toute ramollie par la chaleur ses vieux traits qui prennent de plus en plus de fixation sur son visage plissé quand elle ne porte pas son dentier. Je la regarde avec beaucoup de tendresse, tristement : je sens le temps passer langoureusement. J’ai envie de la prendre dans mes bras et de la serrer si fort et lui dire combien elle est belle dans sa quiétude de femme assise en permanence, combien son menton relâché et ses yeux à demi fermés sont charmants. Ses cheveux couleur henné rouge orangé montent en fourche sur sa tête. Je me lève ondoie mes doigts d’huile de sésame et lisse avec la paume de mes mains chaudes ses touffes hirsutes. Elle couvre mon visage de baisers tendres. Je sais que les autres n’ont pas de gestes affectueux pour elle ; je ne comprends pas pourquoi. Mama n’a jamais porté de foulards en été comme d’autres femmes de son âge. Même dans sa vieillesse elle garde en dehors de sa génération la tête découverte. Badia ne comprend pas pourquoi les vieilles femmes de la génération de Mama cherchent même pendant les temps chauds à couvrir leur tête chez-elles comme dehors. Les cheveux blancs ou teints sont cachés de la lumière du jour comme de la nuit. Même au lit ces femmes d’antan gardaient leurs foulard sur la tête me dit Mama. Elles n’enlevaient ces foulards qu’une fois au bain public ou pour se peigner les cheveux, cachées dans les petits coins invisibles. Ainsi les cheveux cachés d’une femme formaient un autre obstacle à son épanouissement. Comme si les cheveux d’une femme étaient une difformité honteuse à cacher sinon des ondes négatives vont s’en dégager et semer la zizanie entre les hommes. Les cheveux cachés d’une femme voilée sombrent sous l’anonymat comme toutes ces femmes soumises au destin qui les éloigne de la réalité des hommes et les place sous leur tutelle à l’infini. C’est pourquoi dit Mama, dès que j’ai eu la possibilité j’ai enlevé le foulard et je suis partie me couper les cheveux chez un coiffeur homme. Depuis je ne veux plus allonger des tresses de corde à linge ! Je ne comprends pas pourquoi ces jeunes filles daba sortent avec le voile ! Ce sont des arriérées ; elles sont trop naïves. Elles croient cacher leur beauté qui prend au fait une allure moche, aussi moche que ces barbes qui les accompagnent ! Moi j’interdisais à ton père de porter une barbe ; il était toujours rasé de près et sa peau lisse et rose. Nous sommes des humains civilisés, nous ! Les poils c’est pour les animaux !

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Commentaires
Ma langue double
  • C'est le récit d'une octogénaire qui soudain éprouve le besoin de raconter sa vie. Sa fille motivée, se fait le script de sa mère lancée dans ses souvenirs. Le texte prend des allures romanesques. Deux langues maternelles vont s'affronter.
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