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Ma langue double
15 juillet 2014

Randonnées en profonde Médina de Fès

 

Nombreuses, poursuit Badiعa, étaient les femmes qui venaient consulter mon oncle tout souriant, très bel homme avec une chevelure abondante et lisse qui ressortait des bords de son couvre-chef andalou gris. Son tarbouche était différent de celui rouge-cerise tunisien de Baba.

Je vois encore la fameuse chevelure soyeuse argentée-platinée de Baba, déborder sur ses tempes et sa nuque. Cela cassait avec son tarbouche rouge-cerise. Baba qu’on retrouvait aussitôt, Mama et moi, en rebroussant chemin au milieu de la cohue qui nous enveloppait. Nous étions comme poussées, traînées à petite allure, en sortant d'un angle de magasins vers un autre angle de ruelle puis d'une porte ouverte sur une place vers une autre porte qui donnent toutes presque sur le grand marabout de Fès et mènent tous directement vers l'entrée magique de la place de la Kissariya El Kifaح qui présentait un ensemble de magasins successifs de tissus, tous achalandés en gros rouleaux et de coupons d'étoffes prévues pour hommes et femmes. On y vendait charga d’Benjelloun, mlifa ou tergal, ou autres tissus plus doux, plus raffinés, déposés à l’intention des femmes, comme mousseline, tlija, mobra, velours fin et twabe d'je°bbana et les tissus des camisoles d' souss'di... C'étaient les marques ou noms de tissus exigés par Mama auprès des boutiquiers. Des fois, on passait par L°mer-'ققtane ou souk d'lala. C'est la place de la vente aux enchères par criées. Plusieurs marchands ambulants tenaient exposée leur marchandise sur les bras et lançaient leur houle de phrases en l'air appelant les passants à venir s'enquérir de leurs articles et discuter les prix...

Ce sont des ventes et achats entreprises les après-midi, précise Mama.

.. De belles housses d'occasion, des matelas et des oreillers brodés bt°rz nta'ععe et terz l°r°r'za ou d'l’be°h°'ja ou b't°r'z rbaté, étaient exposés aux yeux ahuris de Bada.

.. C'étaient des draps tous brodés au point de croix style fassi, de style purement classique! C'étaient toutes de riches étoffes passées par les mains émérites de femmes fondamentalement assises, leur métier en main. Je percevais de véritables chefs-d’œuvre de tissage et de broderies artisanaux traditionnels, et je ne comprenais pas comment on arrivait à vendre ainsi le produit de ses longs labeurs.

.. C'étaient des chefs d’œuvre que Mama regardait avec dédain. Elle affichait bien ses moues de mépris en regardant ces vieux tissages comme un résidu insignifiant des temps anciens ''dépassés'' et qu'elle taxait de ch°raw°t (de chiffons). Elle soutenait que tout se vendait neuf-éclatant dans les magasins en ville moderne. Aussi ne fallait-il plus user ses yeux dans ces broderies compliquées et interminables, ni acheter des semblables. Je continuais à lorgner à reculons, tirée par la main de Mama pressée de sortir de la cohue, le spectacle de ''ces vieilleries merveilleuses'' qui se soulevaient au dessus des têtes telles des banderoles exhalant le fruit des patio-Riyad andalous enfouis dans un passé lointain.

Je vois Mama, un de ces jours-là, au milieu de la foule mélangée de marchands-vendeurs ambulants et d' acheteurs curieux. Elle se faufile dans la trouée zigzagante que lui laissent les hommes et les femmes, serrés contre les parois et les comptoirs de boutique de la ruelle marchande si étroite, pour accéder à sa destination. Elle porte la tête haute passant telle une rosière, à peu prés enveloppée dans sa djellaba sans capuchon. Elle porte sur sa tête un simple foulard en soie mauve noué sous un menton qui laisse dégagée une bonne partie de la gorge qu'on voit sortir du col échancré de sa djellaba rose de ce jour. Elle irradie de beauté-rose, Mama! Elle porte sous sa djellaba un large décolleté de gitane.

Ses cheveux teints en noir jais se laissaient voir par des mèches qui descendaient en boucle sur le haut de son front et ressortaient en petites touffes de dessous les bords du foulard frôlant le bas de son cou dégagé.

Car Mama se faisait permanenter les cheveux chez un coiffeur juif en ville nouvelle.

Elle me tirait par la main pour que je ne me perde pas dans la foule. Puis, sorties d’un plein de ruelles aux commerces définis jusqu’à la place l°عdoul (les Adouls) qui se situe entre L'قissariya et la mosquée El قKarawiyine, nous débouchions à nouveau sur la place L’قaye°ss où se trouvent aussi les grands magasins de gros..

Babak stockait sa marchandise dans un immense magasin qu'il a fini aussi par vendre, rappelle la vielle femme avec sa moue de reproche infini pour le défunt qui a vendu à peu près toutes ses propriétés avant de mourir.

Il avait tout à fait raison, réplique Badia. L'héritage provoque des conflits odieux dans les familles.

..Ensuite nous défilions sous l’air ambré de.......

L’ععAcchàbine où il y' avait les vendeurs d’herbes enchanteresses d’un côté, et de l’autre...

*L' fnadei'ققq'!, précise Mama. Ces endroits fermés, spécialisés dans la vente de la volaille et des œufs...

 

*L° fnadeiقe est le pluriel de f°n°d°قe فندق . Ce sont de vieilles bâtisses qui servaient d’hôtels pour les marchands-vendeurs ambulants et les commerçants de gros qui y stockaient leurs marchandises. C'est au fait une bâtisse qui se compose d'un étage où il y a plusieurs chambres et d'un rez-de-chaussée doté d'une immense cour qui peut se transformer en place marchande.

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Commentaires
L
Quelques fragments de ma vie avec maman. Par Bouchra Benjelloun dans ''La langue Mama ou le Retour à la source''.
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Ma langue double
  • C'est le récit d'une octogénaire qui soudain éprouve le besoin de raconter sa vie. Sa fille motivée, se fait le script de sa mère lancée dans ses souvenirs. Le texte prend des allures romanesques. Deux langues maternelles vont s'affronter.
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